Frictions est un média en ligne qui a pour ambition de raconter l’actualité par l’intime et en rassemblant des points de vue venant du monde entier. Il cherche à raconter les grands sujets de société qui sont devenus mondiaux, à travers des histoires personnelles, localisées. Pour ce faire, ce média fait appel à des journalistes et des auteurs du monde entier pour raconter une réalité subjective à travers des reportages, des enquêtes, des chroniques et des podcasts, mais aussi des fictions qui font voyager les lecteurs et lectrices. Walid Rachedi, co-fondateur du média, nous en parle.
Racontez-nous un peu la création de Frictions et les enjeux autour de ce nouveau média ?
Frictions a été lancé officiellement en juin 2020, nous fêtons nos 10 ce mois-ci et nous venons d’être reconnus par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) comme média en ligne d’actualité. Plusieurs constats ont mené à la création de ce média :
Premièrement, sachant qu’en tant qu’auteur, il est très difficile d’être publié car on est confronté à des délais de publication longs, il m’a semblé intéressant de créer un espace dans lequel des journalistes et auteurs pouvaient s’exprimer d’une manière plus spontanée, en racontant une histoire qui part de l’intime et qui raconte un fait de société.
Puis, le deuxième constat, c’est que même si le roman reste un objet culturel important, il est de moins en moins central dans notre consommation culturelle contemporaine. Pourtant, les gens n’ont jamais été autant friands d’histoires, de séries. Et la question que je me suis posé est donc : comment utiliser les outils numériques pour continuer à raconter des histoires tout en s’adaptant aux nouveaux usages ?
Le troisième constat est né de mes nombreux voyages et expatriations. Je me suis rendu compte que lorsqu’on parle de féminisme, des identités, de l’écologie, de révolution numérique, l’intérêt pour ces sujets est mondial. Néanmoins, ils sont racontés différemment selon que l’on vit à Paris, à Rio ou à Alger. C’est pourquoi il était intéressant de mettre en perspective ces différents points de vue et ces différentes sensibilités parce que c’est ce qui permet de sortir un peu de sa zone de confort.
Cela a mené à la création de Friction, un média qui mêle journalisme, reportages, chroniques et des choses plus littéraires, qui sont soit de la pure fiction (surtout de la fiction ancrée dans le réel), soit de la non-fiction (même si on la découvre encore peu en France car elle reste principalement sous influence anglo-saxonne).
Comment définiriez-vous la narrative non-fiction (ou la non-fiction littéraire, ou le journalisme d’auteur) ?
Selon moi, la narrative non-fiction part du particulier, de l’intime, d’une expérience ou d’un point de vue singulier pour finir par expliquer un fait de société, pour permettre de mieux comprendre une réalité. C’est partir du singulier pour aller vers le général.
Le bon exemple d’une non-fiction, c’est le livre de Ta-Nehisi Coates, un journaliste afro-américain qui a publié il y a quelques années un livre intitulé Between the world and me. Il raconte la réalité des violences policières dans 3 lettres écrites à son fils et parle d’une réalité subjective : son rapport – celui d’un homme racisé de la classe moyenne-haute – avec la police de son pays pour finir par expliquer le lien qu’entretient la société américaine avec la question raciale et évoquer l’histoire de ce pays qui a été traversé par la guerre de Sécession et la ségrégation.
La crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur la progression de la non-fiction et sur la plus forte envie des lecteurs de retrouver une forme de bienveillance et d’humanité dans l’information ?
Je trouve qu’aujourd’hui, avec la crise sanitaire, il y a une prise de recul sur certains sujets et une prise de conscience sur certaines de nos habitudes. Concernant plus particulièrement l'appétence pour la littérature du réel, on peut se demander si les lecteurs ne vont pas la délaisser après la crise et préférer lire des histoires fictives pour s’évader et entendre parler d’autres choses que de l’actualité, comme par exemple des comédies qui n’abordent pas des sujets comme ceux que l’on trouve dans les médias ou d’une toute autre façon.
La crise sanitaire a impacté toutes les sociétés de manière globale. Et, même si ça peut paraître naïf, on s’est rendu compte que ce qui nous rassemble est bien plus important que ce qui nous divise. La polarisation des opinions ne semble plus si forte car, quelle que soit notre nationalité, on partage une même expérience humaine, celle de ne plus sortir de chez soi, d’avoir peur que ses proches tombent malades, etc.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer que la non-fiction attire plus depuis la crise, selon vous?
La défiance. Les gens vont chercher un média qui se rapproche de leur communauté d’opinions et de croyances. Pour ce faire, ils vont se tourner vers des sources dans lesquelles ils entendent des voix assez authentiques, qui décrivent une réalité plus subjective. En France, on a une sorte de croyance dans l’objectivité, ce qui est positif au fond mais il serait intéressant de la relativiser. L’objectivité française se différencie beaucoup de la subjectivité assumée des journalistes américains. En effet, si vous lisez le New York Times, les journalistes assument et affirment un point de vue. Le problème de cette objectivité, c’est que de nombreux lecteurs ont l’impression d’être devant une permanente fausse objectivité. À travers les témoignages, les gens ressentent quelque chose de sincère et de beaucoup plus assumée dans cette subjectivité. Ils se disent, « la personne n’a ni tort, ni raison, elle partage simplement une expérience et un point de vue ».
Quels sont les autres médias français proposant de la non-fiction littéraire ?
Un des pionniers à avoir assumer ce point de vue subjectif avec des récits à la première personne est Slate. Dans son désir de mettre de la musique et de présenter des personnages, le magazine Les Jours a aussi une approche qui rappelle les codes de la fiction. La revue XXI présente des reportages assez longs qui ont une dimension littéraire. Mais, en France, même s’il existe ces quelques exemples, ce genre à la frontière du journalisme et de la littérature n’a pas été labellisé en tant que tel. Chez Frictions, nous croyons que ce genre a de beaux jours devant lui.
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