Creative Brains #2 Spécial Cinéma
Le monde du cinéma a été marqué en cette fin d’hiver par les cérémonies des Césars et des Oscars qui récompensaient, à Paris et à Los Angeles, les meilleurs artistes et productions en 2018. Temps forts et rites historiques pour les professionnels du 7ème art, ils étaient l’occasion de faire le point sur cette industrie complexe dont les codes sont sans cesse renversés par les nouveaux acteurs et les nouveaux usages. Creative Brains mesure ce mois-ci les tendances d’une industrie créative et récréative où se jouent de multiples champs et scénarios d’innovation.
Le 7ème art face aux géants du web
Festival de Cannes, Palme d’Or, Oscars… Quelle place pour Netflix sur le tapis rouge ?
Si Netflix et autres services de SVOD (Amazon, Hulu etc.) ne cessent de gagner du terrain dans le monde du cinéma, le débat sur le statut de leurs productions pose de nombreuses questions et divise les professionnels du secteur. Lors de la dernière édition du Festival de Cannes, la sélection en compétition officielle d'Okja et The Meyerowitz Stories, deux films distribués sous la bannière Netflix, avait semé le trouble. Un film primé peut-il faire fi du grand écran ? Quelle place pour Netflix sur le tapis rouge ? Pour 2018, selon Numerama, les instances de Cannes ont tranché : Netflix, Amazon et consorts, toujours les bienvenus sur la Croisette, ne pourront néanmoins pas prétendre à la Palme d’or. Pour Thierry Frémaux, délégué général du festival, Netflix créé des modèles hybrides entre film et téléfilm non éligibles aux trophées qui récompensent le cinéma. Un avis partagé par Steven Spielberg, cité dans le Huffington Post, qui a récemment affirmé que les productions Netflix, soumises de fait au format télévisuel, pourraient mériter un Emmy Award, mais pas un Oscar. Des positions claires qui entendent préserver les productions traditionnelles et la distribution en salles, face au risque de voir les plateformes de streaming devenir une solution de facilité pour le financement des films.
L’exception culturelle française : une taxe pour un cercle vertueux
La vigilance de l’industrie française face aux géants américains du streaming fait écho au récent rapport d’accord remis par Dominique d’Hinnin (ex-dirigeant de Lagardère) et François Hurard (ancien directeur du CNC) nommés médiateurs pour le Ministère de la Culture. Ce rapport fait notamment état du manque d’investissement de Netflix et Amazon dans la création et la production française et propose, pour une distribution SVoD plus vertueuse en France, la mise en place d’une taxe mensuelle de 3,50 euros par abonnés aux deux entreprises. Un frein important selon Numerama, car le coût de la taxe pour Netflix s’élèverait à 32 % du prix d’un abonnement et pour Amazon 42 € par abonné, par an.
Annihilation : quand la SVOD pallie aux failles du grand écran
Le combat des différents circuits de distribution n’est cependant pas toujours aussi tranché. Les plateformes de SVOD semblent avoir des cartes à jouer dans certains angles morts de la diffusion, comme la montre la sortie récente d’Annihilation. En effet, le 7 mars dernier en France sortait exclusivement sur Netflix le thriller de science-fiction du réalisateur britannique Alex Garland : adapté du roman éponyme à succès de Jeff VanderMeer et interprété par un prestigieux casting féminin dont Natalie Portman et Jennifer Jason Leigh, ce long-métrage à gros budget produit par la Paramount avait tout pour triompher au box-office mondial. Pourtant, le film n’est sorti en salle qu’aux Etats-Unis, au Canada et en Chine. Décision du studio qui, selon Télérama, aurait jugé le rendu final d’Annihilation trop compliqué pour le grand public. Résultat ? Les droits de diffusion ont été revendus à Netflix. Certains médias comme Ecran Large voient dans cet itinéraire un peu particulier une planche de salut pour le film, mal jugé par ses producteurs, d’autres y voient un joli coup pour Netflix qui profitera des retombées d’une œuvre de qualité.
Terres de cinéma : la France a le vent en poupe
Bonne nouvelle pour le secteur et les acteurs de la chaîne de production : la France redevient une terre de tournage de films. Sources de dépenses locales directes et vecteurs de rayonnement médiatique pour les territoires, l’attractivité en matière de tournage est un point non négligeable dans les problématiques traitées par les pouvoirs publics. INA Global, dans son récent dossier sur l’économie des tournages en France, nous montre comment le pays a peu à peu relancé l’activité grâce à une politique fiscale avantageuse pour le secteur. En effet, la concurrence sur le crédit d’impôts a fait rage ces dernières années en Europe et dans le monde pour attirer les tournages de films ou de séries. Avec des crédits particulièrement alléchants, des pays comme le Royaume-Uni, l’Italie ou l’Irlande ont devancé la France, premier producteur de cinéma en Europe, qui a vu ses propres productions déserter le sol national, et les films étrangers s’en détourner. Conscients de l’impact négatif croissant de ces délocalisations sur l’activité du territoire, les pouvoirs publics ont revalorisé les crédits d’impôts en faveur des producteurs en les portant à 30 % pour les films français et étrangers, et à 25 % pour les productions audiovisuelles de fiction et d’animation. Les territoires et les studios se trouvent peu à peu réinvestis par toute la gamme de la production française, notamment les films à gros budgets, ainsi que par les séries et films étrangers.
HiCan, le futur du divertissement est un lit !
Avec la multiplication des équipements de Home Cinema et des plateformes de VoD aux programmes qualitatifs, le visionnage à la maison est un usage de plus en plus sacré. L’entreprise italienne HiCan pousse la tendance à l’extrême en proposant une solution hi-tech aux aspects futuristes : un lit cinéma connecté. Entre meuble design, cinéma et assistant personnel de sommeil, ce lit innovant est doté d’un système audio de pointe , d’une une télé Apple connectée avec la fonction Airplay, une connexion Wifi intégrée, un système d’alarme, de LED et d’éclairage ambiant réglable à l’infini, des rangements pour poser et connecter les consoles de jeux (Xbox, PlayStation), des stores anti-regards, un rétro-projecteur HD et son home cinéma à écran plasma et une multitude d’applications. Comme le rapporte Forbes, les fonctionnalités dédiées au confort sont également au rendez-vous : tête du lit et zone de pieds entièrement réglables, tracker pour analyser et améliorer la qualité du sommeil… Si le prix de départ de 36 000 euros en fait un objet de luxe, le lit Hi Can reflète les évolutions de notre rapport au cinéma et nous laisse imaginer les liens qui pourront se tisser entre la domotique et le cinéma.
Cinéma et divertissement : le grand public en quête d’immersion ?
Réalité virtuelle et augmentée, vidéo 360, jeu de rôle, social storytelling… Les industries du cinéma et du divertissement créent de plus en plus d’expériences immersives, aux narrations fortes et engageantes pour le spectateur. Incarna, qui vient d’ouvrir ses portes près de Bastille à Paris, est la première salle de jeu de rôle et d’aventure mêlant réalité virtuelle et escape game. Selon Just Focus, les créateurs de l’expérience positionnent le jeu à la frontière du cinéma et du jeu vidéo, et proposent au public une interaction forte entre réel (ce qu’il se passe vraiment dans la pièce du jeu) et virtuel (ce qu’il se passe dans le casque). Jean-Noël Chiganne, grand joueur et fondateur d’Incarna interviewé sur le blog Espace Game, a développé au fil de son expérience une réelle frustration en ce qui concerne l’immersion : « Assez rapidement durant mes études d’ingénieur VR, la réalité virtuelle n’est devenue qu’un moyen, un outil, au service d’un projet plus complexe. ». En effet, malgré une offre pléthorique très médiatisée, la VR et ses casques comme le HTC Vive ou l’Occulus peinent à convaincre le grand public : par exemple, selon des chiffres évoqués en 2017 par Le Monde, sur la plateforme de jeu vidéo Steam, la proportion d’utilisateurs mensuels de périphériques VR ne s’établissait qu’à 0,23% du total de joueurs. L’authenticité et le réalisme de l’expérience proposée seraient-ils en jeu ? Pour les créateurs d’Incarna, ne pas plonger complètement le joueur dans la réalité virtuelle est une volonté forte : un scénario de jeu mettant en valeur l’entre-deux mondes permet une expérience plus immersive et plus palpable.
Les réseaux sociaux pour une nouvelle promotion des films ?
A l’instar de toutes les industries culturelles, le cinéma est face à la nécessité d’acquérir et de fidéliser un public de plus en plus connecté et mobile. Lors de la conférence UKCA (UK Cinema Association) à Londres le 6 mars dernier, Stan Ruszkowski, Chief Revenue Officer de Webedia Movies Pro, participait à une table-ronde sur l’utilisation des réseaux sociaux pour élargir l’audience des salles de cinéma. Un compte-rendu en a été publié sur le site Screen Daily. Au côté de la 20th Century Fox et de Facebook, Stan Ruszkowski annonçait les statistiques suivantes : seulement 0.6% de la vente en ligne de tickets de cinéma en Angleterre est effectuée grâce à Facebook et Twitter (et principalement auprès des plus jeunes), les moteurs de recherche représentent 78% des ventes de tickets de cinéma en ligne, 15% des ventes sont réalisées par les sites officiels des films. Ces chiffres mettent en avant la difficulté de l’industrie du cinéma britannique à prendre le tournant des réseaux sociaux. Cependant, selon Stan Ruszkowski Facebook et Twitter représentent de belles opportunités, à la fois pour les sociétés de production, les studios et les salles qui devraient se décider à les intégrer à leurs stratégies commerciales. De plus, l’influence des plateformes d’hébergement de vidéos n’est pas négligeable pour les ventes : Stan Ruszkowski estime que 20% des ventes de tickets sont perdues car les plateformes comme Youtube ne permettent pas d’acheter directement les tickets. Selon Siècle Digital, la plateforme a pourtant déjà mis en place en 2017 une fonctionnalité pour booster la vente de tickets de concert sur des chaînes d’artistes aux Etats-Unis. A quand une solution similaire pour le cinéma ?
New Images, le salon dédié à la création numérique
Après la création du salon Virtuality, Paris ouvre ses portes à l’exploration d’autres pans des réalités mixtes et des créations numériques avec le nouveau Salon New Images. Né de la fusion entre le Paris Virtual Film Festival et I LOVE TRANSMEDIA, ce salon aura lieu au forum des images du 4 au 8 avril 2018. Cet événement est dédié à toutes les nouvelles formes d’images qui explorent de nouvelles techniques de prises de vue et de diffusion comme la réalité mixte, la réalité augmentée, les fictions interactives, les jeux vidéo ou encore l’holographie. Selon Sortir à Paris, cet événement contient aussi un volet plus professionnel, avec la venue de créateurs, producteurs et diffuseurs américains, canadiens, ou encore africains, mais également d'incubateurs ainsi que de centres de financements internationaux. Au programme, des « installations immersives », mais également des master class, tables rondes, du stand up, des projections en salles, le VR Lab, des sessions de gaming ainsi que le premier « hackathon » créatif autour de la réalité mixte, entre autres. Côté films, une vingtaine est en compétition pour deux prix, dont le « Masque d’Or », remis par un jury professionnel du cinéma et de l’audiovisuel.