L'ère de l'écoute : stratégies et opportunités de l'audio - Show de LINCC #3
Le numérique a redistribué un certain nombre de cartes dans le paysage de l’audio. Offre pléthorique, économie de l’accès, consommation à la demande et personnalisation des offres… Un nouveau rapport aux contenus émerge et change la donne pour les acteurs de l’industrie. Quelles opportunités ces mutations amènent-elles ? Quelles stratégies mettre en place ? Quels dialogues entre acteurs historiques et nouveaux entrants ? Quel avenir pour les contenus à l’heure de l’audio digital et des enceintes connectées ? Pour répondre à ces questions, la table ronde du Show de LINCC réunissait le 26 septembre au Forum des Images un panel de professionnels de différents secteurs afin de croiser les regards et proposer une vision à 360° des enjeux de l’audio aujourd’hui : Caroline Baldeyrou, directrice adjointe du développement numérique chez Arte France, Louis-Alexis de Gemini, CEO France de Deezer, Carine Fillot, fondatrice et CEO d’Elson et Charles d’Aboville, directeur de la stratégie digitale et des études chez NRJ Group.
Laurence Le Ny qui modérait la table ronde a commencé par interroger les intervenants sur leurs éventuelles stratégies de diversification ou d’évolution à l’heure de l’audio digital. Si différents enjeux ont été émis selon le secteur d’activité concerné, on remarque, dans un contexte de forte concurrence et d’évolution rapide des modes de consommation, que l’expérimentation et la créativité sont des valeurs motrices pour chacun.
Si les pratiques évoluent et se dirigent vers de nouveaux formats, la radio reste un média très moderne et plébiscité, qui n’a « pas fait l’objet d’un bouleversement exceptionnel », comme l’affirme Charles d’Aboville. « C’est surtout la manière dont le public y accède qui change et c’est là-dessus que nous devons travailler. Cela va avoir un impact sur la façon dont nous créons nos contenus, notamment en termes de narration ».
Pour d’autres acteurs issus de l’audio digital comme les plateformes de streaming, la bataille des audiences sur le web a motivé de nombreuses réflexions sur la diversification. Deezer qui avait pour première ambition de donner accès au plus grand catalogue de musique possible investit depuis 2012 le champ du podcast. « En 2012, avec la concurrence de Youtube, la question s’est posée d’investir dans l’intégration de la vidéo. Nous avons fait le choix de rester des spécialistes de l’audio. C’est pourquoi nous avons racheté Stitcher et avons été la première plateforme à diffuser la podcast serial en France », déclare Alexis de Gemini.
Chaque acteur fait face de part et d’autre à une forte concurrence et à une évolution des modes de consommation qui se font de moins en moins linéaires et de plus en plus mobiles. « C’est pourquoi notre stratégie repose en premier lieu sur l’observation des usages, affirme Caroline Baldeyrou, avec un autre moteur qui est celui de la créativité, puisque dès 2002, l’équipe éditoriale a eu envie de tester des formats qui ne rentraient pas dans une grille ».
La créativité, au cœur de nos industries, est une notion qui prend ici tout son sens. L’audio digital, avec comme figure de proue le podcast, a amené un souffle de liberté créative et un élan d’expression personnelle, portés également par la logique des réseaux sociaux. La diversification, c’est donc aussi « donner une place à ces voix singulières », comme le formule Carine Fillot, fondatrice d’Elson. C’est la raison pour laquelle cette observatrice du monde de radio, forte d’une expérience de quinze années chez Radio France, souhaite éviter le modèle des GAFA. Avec Elson, elle souhaite proposer aux auditeurs une ligne éditoriale particulière qui puisse leur permettre de trouver le chemin de contenus audio variés.
Avec l’audio digital arrivent très vite les questions de business model et de rémunération. Si le sujet paraît parfois complexe ou épineux, c’est que tout reste encore à construire pour une gestion fluide des contraintes de droit et de rémunération des créateurs. En témoigne La Playlist de ma vie éditée par Deezer qui, pour pouvoir proposer un podcast sur la musique, doit aujourd’hui alterner pistes d’audio parlé et pistes musicales.
Côté business model, les nouveaux formats comme le podcast misent essentiellement sur le brand content ou la publicité, ce qui selon Carine Fillot « pose la question de la place des petits acteurs ». Elle développe : « D’autres business models sont possibles, comme l’éducation au son avec les formations au podcast, le crowdfunding etc. Ne faut-il pas tirer les enseignements de ce qui se passe aujourd’hui avec des modèles comme Netflix pour creuser un nouveau sillon propre à l’audio ? ».
Au cœur du modèle économique également se pose la question des données d’écoute dont certains acteurs semblent manquer. « Nous n’avons pas beaucoup d’informations officielles et comparables sur les données d’écoute, c’est un marché qui a besoin de maturité », affirme Charles d’Aboville. Or l’audio digital a l’avantage de faciliter la collecte de ces informations, comme le montre Alexis de Gemini : « L’intérêt des plateformes de streaming pour les créateurs de contenu réside justement dans la data, Deezer est aujourd’hui en capacité de fournir des données d’écoute intéressantes pour les producteurs. »
La diversification des modes d’écoute engendre une fragmentation des audiences, ainsi l’un des enjeux majeurs pour les acteurs de l’audio est de travailler à capter les publics qui se détachent des médias traditionnels, notamment les jeunes. « Avec Arte Radio, nous touchons une nouvelle audience, plus urbaine et plus féminine que celle que nous avons à la télévision. L’une des solutions est de passer par les médias sociaux, notamment Youtube ou Instagram. Il faut donc s’entourer de nouvelles compétences comme celles des graphistes, des community managers etc ». Et si cette bataille des audiences suppose de s’armer de nouveaux savoir-faire, la qualité du contenu n’est reste pas moins déterminante, comme le déclare Charles d’Aboville : « Ceux que l’on appelle les Millenials constituent avant tout une génération exigeante, il faut des contenus de qualité et des créateurs de talent ».
La question qui suit celle des attentes des auditeurs est naturellement la suivante : Quels contenus plaisent le plus aujourd’hui ? « Les genres qui plaisent le plus sont l’humour, les histoires au sens large, les podcasts de grandes marques comme NRJ, France Inter, Europe 1 etc. et les podcasts de culture générale ou de science. C’est intéressant, car cela couvre une dimension culturelle très vaste. », déclare Alexis de Gemini.
Le sujet des enceintes connectées qui annonce de grands défis pour demain a clôturé la table ronde. Si elles promettent de bouleverser notre rapport aux contenus et aux machines, ces innovations posent dès aujourd’hui pour les acteurs des industries culturelles et créatives des questions très concrètes, notamment celle de l’indexation des contenus qui constitue un immense chantier. La commande vocale et la personnalisation des expériences sonores nécessitent de travailler le référencement, le speech to text ainsi que l’analyse sémantique et les algorithmes. Encore balbutiant, l’usage des enceintes connectées doit également être accompagné. L’enjeu pour les acteurs du son est donc également d’éduquer les utilisateurs à ces appareils. « Cela va de pair avec le rôle du média », déclare Charles d’Aboville.
Cette table ronde s'est déroulée le 26 septembre 2019 au Forum des Images à l’occasion du Show de LINCC, la rencontre annuelle proposée par les plateformes d’incubation LINCC et Labo de l’édition entre nos startups et l’écosystème professionnel des industries culturelles et créatives.
Voir la synthèse du Show de LINCC
Pour aller plus loin
- Focus sur les usages de l’univers audio
Emmanuelle Le Goff, directrice du département Radio de Médiamétrie, a présenté en guise de préambule une analyse des usages de consommation des contenus audio en s’appuyant sur les chiffres de l’étude Global Audio publiée en 2019.
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- La tendance podcast à l’international, par Rachel Nullans
Le Show de LINCC a également fait intervenir Rachel Nullans, consultante en communication et marketing digital, qui a posé une vision du marché international des contenus audio avec un focus sur le podcast.
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