"Webcomics : le marché émergent qui dynamise le monde de la BD numérique" par Jérémy Rouberty et Mathieu Herdegen, fondateurs de Mandrillcomics

Le 9e art, célébré chaque année dans le cadre du Festival International de la bande dessinée d’Angoulême, a connu ces dernières années l’apparition de nouveaux usages et de nouveaux formats de BD liés au numérique. Focus sur le webcomics avec Jérémy Rouberty et Mathieu Herdegen, co-fondateurs de Mandrillcomics.

Des usages en mouvement

Les plateformes de diffusion de BD numérisées (BD physiques scannées, intégrées sur une plateforme digitale et destinées à être lues de façon dématérialisée) existent depuis de nombreuses années mais le marché pour les principaux acteurs reste balbutiant. Le résultat est qualitativement peu concluant car le lectorat de la BD traditionnelle reste éloigné des usages et outils numériques. Côté artistes, c’est un format qui ne laisse pas la possibilité de s’affranchir des codes traditionnels de la création.

Le numérique et ses frontières toujours plus illimitées en matière d’innovation permettent l’émergence depuis peu d’une nouvelle forme de création : la création originale sur ordinateur qu’on appelle webcomics.

L’arrivée de nouveaux supports de lectures mobiles comme les smartphones change la consommation des lecteurs. Le média ne reste plus cloisonné au domicile mais suit le consommateur au quotidien.

Selon l’étude du SNE “La Bande dessinée, une pratique culturelle de premier plan : qui en lit, qui en achète ?”, publiée en octobre 2017, la bande dessinée se lit de plus en plus dans les transports avec 35.5% de lecteurs chaque jour dans le monde et ⅔ de ces lecteurs en consomment au moins une fois par semaine (source : Etude Naver Line, Salon du festival international d’Angoulême 2018), de plus en plus de manières numériques.

Le format des webcomics s’adapte donc particulièrement à ce nouveau mode de consommation.

 

Des nouveaux formats qui émergent grâce aux outils digitaux

Créer du contenu multimédia directement depuis chez soi est aujourd’hui une réalisation technique accessible à tous. Par exemple, la musique créée depuis des programmes informatiques est devenue une forme de création à part entière, fortement appréciée du public et pratiquement utilisée par tous les créateurs. De même pour le monde de la BD, ce sont les 15-35 ans qui ont su s'approprier ces nouvelles technologies. Les créations de webcomics se font directement sur ordinateurs via différents logiciels.

Majoritairement diffusée à travers des BD blogs d’artistes, le webcomic connaît depuis quelques années une accélération de sa diffusion grâce aux réseaux sociaux. Disposant d’un format libre, ce nouveau type de BD ouvre de nouvelles perspectives à ce marché mais offre également aux auteurs de nouvelles possibilités de créations. Le webcomic est un format qui a poussé notamment de nouveaux et nombreux talents sur le devant de la scène. Le support n’étant plus physique, le webcomic se dispense de contraintes pour apporter une autre forme de création. Une BD numérique peut par exemple être animée comme c’est le cas pour l’artiste français Zéda

 

L’artiste Whim quant à lui se joue des cases de la BD traditionnelle se servant de la forme pour nourrir le fond de l’histoire et se passant parfois même des bulles. Il travaille également sur la structure et la coloration au même moment en utilisant le logiciel MacPaint ce qui change complètement du processus de création d’une BD plus traditionnel avec une première partie dédiée au dessin puis une coloration. Le résultat offre des textures inédites ce qui emmène le lecteur dans un monde poétique.

 

« Wormhole », Whim

 

 

Cependant, la large diffusion de ce format reste encore limitée. Cela s’explique par la multitude de formats et de logiciels de création dédiés. Alors que l’EDRLab (European Digital Reading Lab) mène en ce moment même une réflexion autour de la mise en place d’un format commun pour la BD numérique, le constat actuel est qu’il existe autant de combinaison de formats et dimensions que d’artistes.

Les histoires développées en webcomics étant non linéaires et courtes (parfois quelques cases seulement), elles permettent une lecture rapide et mobile.

Le Japon plus développé technologiquement sur la diffusion des médias via smartphones développe depuis des années des formats de mangas faciles à lire sur ce support avec un mode de lecture case par case ou encore le développement du scrolling vertical.

 

 

Prospective : un Youtube de la BD numérique est-il possible ?

Pour faire émerger les talents du webcomics, de nouveaux acteurs comme Mandrillcomics s’emparent de ce format et y apportent une dimension nouvelle pour les créateurs : un chemin plus direct avec leur lectorat. L’exemple de réussite de Cyanide and Happiness dont la première parution date de 2005 et qui génère aujourd’hui 2.6 millions de dollars par an grâce à sa communauté montre qu'un marché existe.

Depuis 2010, Youtube a démocratisé l’accès au contenu vidéo mais a aussi démocratisé la création de contenu vidéo. Au départ dédié aux vidéastes amateurs, beaucoup sont devenus de vrais créateurs de contenus sur internet. Un marché est né car cette création de contenu a rapidement été associée à des modèles de monétisation qui ont fait leur preuve comme la publicité, les partenariats, les placement de produits, les abonnements, les dons.

Concernant le monde de la BD numérique ce type de format manque. Les structures actuelles de diffusion, comme Facebook, Instagram ou Reddit, ne sont pas adaptées à ces nouveaux formats car elles n’ont pas été pensées pour ces nouveaux usages de lecture et de création.

Mandrillcomics a pour ambition de faciliter la création de webcomics pour les auteurs en encourageant la création sans contrainte de format grâce au développement de technologies de traitement de l’image comme le “Cut4all”. Cet outil permet de retrouver les cases de la BD sur une image afin de les découper et de les assembler pour correspondre au format du support de l'utilisateur. C’est une réponse technologique au fait que ce média ne dispose pas d’un format standard. “Cut4all” permet de faire le lien entre tous les formats de créations possible pour l’artiste de webcomics (format et dimensions de l’image) et le confort de lecture pour le consommateurs final que ce soit sur PC ou mobile.

 

 

Mandrillcomics souhaite également améliorer leur diffusion grâce au développement d’une application (depuis peu disponible sur iOS et Android).

La monétisation de ces œuvres est également au cœur de la réflexion de la jeune entreprise car elle est la seule plateforme en accès gratuit qui propose une rémunération aux artistes et auteurs de webcomics. Souhaitant répondre à une problématique moderne de financement et de valorisation des artistes, la startup s’inspire de Youtube ou Twitch en permettant au lecteur d'accéder gratuitement à du contenu de qualité. Ce dernier accepte en contrepartie de regarder une publicité pour rémunérer l’artiste qu’il apprécie. Basée sur du volontariat, cette nouvelle forme de monétisation est totalement transparente. Le lecteur a également la possibilité de verser des dons ou de s’abonner à un artiste.

 

Pour en savoir plus : rendez-vous sur Mandrillcomics.fr